En détention, lorsque le comportement d’un détenu est considéré comme un manquement au code disciplinaire, les agents correctionnels doivent écrire un rapport relatant les faits. Ce rapport sera transmis au comité de discipline de l’institution qui agit comme un tribunal interne et puni les manquements qu’il juge fondés. Lorsqu’on énumère les comportements passibles d’une sanction en prison, on se rend vite compte qu’une panoplie de comportements pourrait mener à un rapport disciplinaire. Pourtant, peu de rapports sont rédigés chaque année. La sociologie carcérale explique que pour favoriser le maintien de l’ordre, l’objectif premier poursuivi par les agents correctionnels, il est préférable de développer des relations de collaboration avec les détenus plutôt que d’appliquer le règlement de l’établissement carcéral à la lettre. Sachant cela, ma recherche vise à identifier 1) la nature des manquements qui retiennent l’attention des agents correctionnels et 2) la façon dont ces derniers présentent la situation jugée problématique dans leur rapport de façon à ce qu’elle soit acceptée comme manquement par le comité de discipline.

 

Ma recherche est informée par la sociologie pragmatique de Boltanski et Thévenot.  Ceux-ci ont généré un modèle sur les rationnels à la base des actes de dénonciation. La méthode employée pour l’analyse des données a été l’analyse de discours par répertoires interprétatifs. Ceux-ci sont utilisés par les individus pour construire les versions linguistiques de leur comportement qui leur permettront de justifier ou d’expliquer leurs actions, leurs processus cognitifs et d’autres phénomènes (Wetherell et Potter, 1988). En analysant le discours des agents correctionnels, notamment le langage utilisé et ses variations, il a été possible de comprendre comment ils construisent les situations problèmes et quels sont leurs objectifs en dénonçant ces mêmes situations. Cette analyse a essentiellement été appliquée à la description des manquements rédigés par les agents correctionnels de l’établissement carcéral provincial sous examen pour une période d’une année.

 

L’analyse permet de dresser un portrait des situations problèmes qui sont sélectionnées par les agents correctionnels. Elle permet aussi d’éclairer la façon dont ces dernières sont mises en forme pour susciter l’intérêt, l’approbation et la punition de la part du comité de discipline. Au final, ce sont vingt répertoires interprétatifs qui ont été identifiés et qui sont mobilisés par les agents correctionnels pour faire d’un événement particulier, une situation officielle qui monte en généralité et qui mérite l’attention et l’action de l’autorité officielle de la prison.

 

Bibliographie

BOLTANSKI, L., et L., THÉVENOT (1999). The Sociology of Critical Capacity, European Journal of Social Theory, 2(3), p.359-377.

BOLTANSKI, L. (1990). Sociologie critique et sociologie de la critique, Politix, 3(10-11), p.124-134.

BOLTANSKI, L., DARRÉ, Y. et M.-A., SCHILTZ (1984). La dénonciation, Actes de la recherche en sciences sociales, 51, pp. 3-40.

WETHERELL, M., et J., POTTER (1988). Discourse analysis and the identification of interpretative repertoires. Dans C. Antaki (Ed.), Analysing Everyday Explanation : A Casebook of Methods, pp.168-183.